- LOGIQUE INDIENNE
- LOGIQUE INDIENNELes questions de raisonnement logique occupent une place aussi importante dans la philosophie indienne, d’un bout à l’autre de son histoire, que dans la tradition occidentale. Ce n’est que dans les années 1930 que la plupart des Occidentaux ont fini par reconnaître ce fait, dont l’étude reste encore aujourd’hui exposée à la négligence. Il y a deux raisons à cela, outre que dans les différentes écoles (dar ごana, littéralement «point de vue») indiennes la logique n’a jamais dénoué les liens naturels qui l’unissent à la philosophie du langage et à l’épistémologie.D’abord, la philosophie indienne a commencé à être connue en Occident vers 1800, au moment où l’on découvrit que les langues indo-européennes sont historiquement apparentées, et où les études sanscrites trouvèrent place dans les universités. À cette époque, les recherches sur la pensée mythologique considérée comme le point de départ de la philosophie spéculative retenaient beaucoup plus l’attention des érudits que celles sur les étapes primitives de l’activité scientifique; encore moins se penchait-on sur la logique de la pensée investigatrice elle-même. On traitait la logique comme si l’essentiel en était contenu dans les schémas qu’elle héritait de la syllogistique, et on la considérait donc comme un jeu stérile qui ne méritait d’attention sérieuse ni de la part du scientifique professionnel ni du philosophe spéculatif. Il fallut attendre l’avènement de la logique formelle moderne grâce à Frege pour que fussent appréciées à leur juste valeur les conquêtes passées de la logique, par exemple celles du stoïcisme ou de la scolastique; et la logique indienne subissait le même sort.En second lieu, les traités indiens qui portent sur les problèmes de la logique emploient en général un langage technique très élaboré. Pour bien comprendre celui-ci, il est pratiquement nécessaire de s’appuyer sur une tradition écrite et orale ininterrompue faite de commentaires raisonnés attaquant et défendant des textes antérieurs, mais à l’heure actuelle nous ne disposons que rarement de séries complètes de ces commentaires. En outre, il est difficile d’identifier tel ou tel problème à son équivalent occidental, même quand celui-ci existe.1. Raisonnement et prédicationL’attention portée aux questions de logique est intimement liée aux tentatives de mettre en question les autorités spirituelles; en Inde, elle se manifeste d’abord par l’attention portée aux outils verbaux qu’il faut fabriquer pour savoir comment mener une controverse à propos de la tradition des Vedas. On s’y intéresse autour de 500 avant notre ère, époque où l’autorité védique se voit vigoureusement contestée par les bouddhistes, les jaïnistes et un mouvement encore plus révolutionnaire appelé les lok yatikas, terme qui habituellement recouvre divers groupes de matérialistes, de sceptiques et de fatalistes. Cet intérêt se manifeste encore pendant de nombreux siècles où, pour défendre les Vedas en s’efforçant d’en reconstruire rationnellement les doctrines au moins en partie, se sont développés les dar ごana orthodoxes. Le terme le plus ancien qu’on connaisse pour désigner à la fois l’action de raisonner et la théorie du raisonnement est « nv 稜k ルik 稜»; il apparaît vers 300 avant J.-C. dans un célèbre traité d’économie, de politique et d’administration, l’Arthás stra de Kau レilya, où il sert de caractéristique commune aux écoles rationnelles de l’époque: S face="EU Updot" 拉khya, Yoga et Lok yata, pour les séparer de trois autres théories: celle des trois Vedas (tray 稜vidy ); celle de l’économie (v rtt -vidy ) et celle de la politique (da ユボin 稜ti-vidy ). Un terme encore plus ancien désignait la méthode qui s’applique aux questions philosophiques, particulièrement celles qu’on appelle «avy k リta» (sans réponse) où une liste de dix incluse dans le Majjhimanik ya, collection de s tra bouddhistes anciens, range entre autres des questions demandant si le monde est fini ou infini, si l’âme et le corps sont identiques ou différents, etc. Bouddha ainsi que Mah v 稜ra, et donc les disciples de l’un et de l’autre, appellent cette méthode «vibhajya», la division [en plusieurs cas différents]. Là, devant une question à laquelle on ne peut répondre directement par oui ou non, une sorte d’analyse linguistique sert à la transformer en un nombre variable de questions dont chacune peut recevoir une réponse ou n’est qu’une pseudo-question. Au cours des siècles ultérieurs, on a façonné à partir de cette méthode plusieurs systèmes d’argumentation particuliers servant à trouver si tel prédicat vaut ou non pour telle chose. Ces systèmes diffèrent de façon éclatante selon qu’il s’agit de l’école m dhyamika du bouddhisme mah y na ou des formes tardives du jaïnisme. Les m dhyamika qui, par anti-essentialisme, ne s’autorisent à porter que des jugements négatifs où l’on s’engage le moins possible, utilisent une formule à quatre lemmes, le «catu ルko レi»: un objet (1) n’est pas a , (2) n’est pas non-a , (3) n’est pas à la fois a et non-a , (4) n’est ni a ni non-a . Elle paraît dériver d’une formule similaire, à cinq membres, dont l’auteur était le sceptique Sañjaya. En revanche, les jaïnas, qui dans leur souci de tout inclure considèrent que tout jugement peut être affirmé moyennant les conditions requises, utilisent une formule à sept assertions, le saptabha face="EU Updot" 臘g 稜, par laquelle ils montrent que tout objet se divise selon les manières dont il nous est donné: (1) en un certain sens quelque chose est a (par exemple, une marmite est noire si l’on considère son état, elle est en terre si l’on considère sa substance), et (2) en un certain sens quelque chose n’est pas a (par exemple, une marmite n’est pas noire si l’on en considère la substance), et (3) en un certain sens quelque chose est a et [plus tard] ne l’est pas, et (4) en un certain sens quelque chose est inexprimable [c’est-à-dire que le prédicat n’est pas applicable], et (5) en un certain sens quelque chose est a et [plus tard] est inexprimable, et (6) en un certain sens quelque chose n’est pas a et [plus tard] est inexprimable, et (7) en un certain sens quelque chose est a et [plus tard] n’est pas a et [plus tard] est inexprimable. Matilal (1981) a montré par des arguments convaincants que ce schéma, qui a valu au dar ごana des jaïnas le nom de «sy dv da» (doctrine du «cela peut être» [ainsi ou autrement selon le point de vue]), doit remonter à une formule à trois membres dont l’auteur est le fataliste Gós la, qui comme Sañjaya, vécut à l’époque de Mah v 稜ra et de Bouddha, et fonda la secte j 稜vika, qui dit que toute chose possède un triple caractère: par exemple un être vivant est aussi non vivant et, en outre, à la fois vivant et non vivant.2. L’art de la controverseLorsqu’on examine de plus près les relations que le Lok yata entretient avec le jaïnisme et le bouddhisme, d’une part (à propos du vibhajya), et avec le S face="EU Updot" 拉khya et le Yoga, d’autre part (à propos de l’ nv 稜k ルik 稜), on s’aperçoit qu’il faut distinguer au moins deux traditions concernant les méthodes d’investigation rationnelle. Il y a le v da-vidy (doctrine de la controverse, appelée aussi «tarka- ご stra»), qui s’intéresse avant tout aux personnes et étudie les règles de l’argumentation. Il y a le pram ユa- ご stra (théorie de la connaissance, aussi appelée «jñ na-v da») qui s’intéresse avant tout aux choses et étudie les raisons sur lesquelles se fonde telle ou telle connaissance. Les débats (kath ) ont généralement été classés sous trois rubriques, qu’il est aisé de ranger selon la répartition en deux domaines, la dialectique et l’éristique, qu’adoptait notre antiquité classique. On distinguait les débats ou discussions de bon aloi (v da), qui visent à trouver ce qui est vrai, la joute oratoire (jalpa), où l’on veut gagner la renommée, et l’argumentation destructive (vita ユボ ), où l’on chasse l’adversaire hors de l’arène par n’importe quel moyen, sans avancer une thèse à laquelle on s’identifierait. (Par suite, certaines argumentations solides des m dhyamika sont aussi appelées «vita ユボ », car les m dhyamika ne pratiquent que la réfutation, ce qui implique qu’ils n’admettent pas la validité de la loi classique duplex negatio affirmat ; en fait, ils utilisent une sorte de négation forte de type intuitionniste.) En revanche, il existe plusieurs classifications des moyens de connaissance (pram ユa), mais elles sont toutes fondées sur la distinction entre la perception (pratyak ルa) et l’inférence (anum na) considérées comme des deux manières qu’a l’homme de se renseigner sur ce qui est. Déjà vers 150 avant notre ère, dans le Mah bh ルya de Patañjali, ce grand subcommentaire sur les gloses de la grammaire sanscrite de P ユini, le rôle de l’inférence est décrit en des termes qui rappelent les exposés des stoïciens: l’inférence permet d’accéder par la connaissance d’un perçu à la connaissance d’un non-perçu (ou de quelque chose qui n’est pas accessible à la perception), le premier étant alors un signe du second.Or le v da-vidy devint le noyau d’un des six dar ごana orthodoxes traditionnels, le Ny ya, qui se développa vers le début de notre ère. Il joua aussi un rôle important dans les écoles bouddhistes h 稜nay na de la même époque. Parmi les débats paradigmatiques les plus célèbres, on note le Milindapañh (vers 100 av. J.-C.), texte non canonique qui relate une discussion philosophique entre le roi hellénisé de la Bactriane, Ménandre, et le moine bouddhiste N gasena; et le Kath vatthu (250 av. J.-C.) qui, lui, fait partie du canon et constitue le plus ancien traité qui nous reste où soient étudiées les règles de la logique des propositions telles qu’elles sont appliquées à l’art de la controverse. Ces deux textes sont la source de l’école logique bouddhiste fondée par Dign ga (vers 480-540 apr. J.-C.), alors que l’étude de l’inférence en termes sémiotiques par les grammairiens anciens (les vaiy kara ユas) doit avoir été assez étroitement apparentée aux conceptions similaires qu’exprime le S face="EU Updot" 拉khya pré-classique, selon laquelle le premier rang parmi les pram ユas revient à l’inférence, tandis que toutes les autres écoles donnent la priorité à la perception. À partir des polémiques qu’on trouve dans les recueils ultérieurs, notamment ceux de Dign ga, il est possible, comme l’a montré Frauwallner (1958), de reconstruire la manière dont le maître du S face="EU Updot" 拉khya V リルaga ユa (vers 300 apr. J.-C.), transforma une doctrine plus ancienne sur l’inférence et la mit au cœur même du S face="EU Updot" 拉khya. Ce n’est que plus tard que cette transformation fut amalgamée à la tradition des v da au sein du Ny ya, en partie par l’intermédiaire du dar ごana qui est son jumeau, le Vai ごe ルika. Et c’est cette combinaison de la théorie de l’argumentation avec la théorie de la connaissance par inférence que V tsy yana (vers 350-425), sous le titre de théorie de la logique (ny ya-vidy ), dans son commentaire sur les Ny yas tras, le Ny ya-bh ルya , identifie à ce que l’Artha ご stra de Kau レilya appelle nv 稜k ルik 稜. Cette combinaison explique aussi que l’expression «pram ユa- ご stra» serve à désigner l’ensemble des Ny ya-dar ごana.3. La doctrine de l’inférenceDes difficultés insurmontables empêchent de reconstruire la doctrine ancienne sur l’inférence, car même les commentaires indiens les plus anciens qu’on connaisse ne s’accordent pas quant à la signification exacte des trois types d’inférence que la tradition nous présente sous les noms de «avec précédent» (p rvavat), «avec le reste» (face="EU Acute" ごe ルavat) et «considéré à l’égard de ce qui est commun» (s m nyato d リルレam). Parmi les interprétations modernes qui se fondent sur le sens littéral de «p rva» et « ごe ルa» en grammaire, la plus convaincante est celle qui identifie l’inférence «p rvavat» avec le modus ponendo ponens (si 礪le précédent 麗 est valide, [alors 礪le suivant 麗 est valide]: dans AB, en affirmant ou posant A on affirme ou pose B, on a donc A, AB 若 B). De même l’inférence en ごe ルavat s’identifie au modus tollendo ponens ([si l’un des membres d’une alternative valide n’est pas valide] alors 礪le reste 麗 est valide: dans A 鈴 B, en niant A on affirme B, on a donc A 鈴 B, 漣| A 若 B). L’inférence en s m nyato-d リルレam s’identifie à une inférence par analogie où 礪ce qui est commun, l’élément commun 麗 fonctionne comme tertium comparationis (par exemple, si les oies sont des oiseaux alors les canards sont des oiseaux, parce que tous deux ont des plumes; ce raisonnement est valide à condition que soit valide un tertium comparationis qui dit: avoir-des-plumes implique être-un-oiseau). V リルaga ユa transforma cette classification tripartite des inférences en une classification bipartite. «Considéré à l’égard de ce qui est commun» se trouva scindé en deux sous-groupes: les inférences en p rvavat et celles en ごe ルavat. «Considéré à l’égard de ce qui est spécifique» constitua la seconde grande classe (vi ごe ルato d リルレam), où le suivant, l’élément second, n’est autre qu’une spécialisation du précédent, de l’élément premier, à l’égard de certains cas particuliers: ces plumes-ci, cet oiseau-ci. À partir de cet état de la question, des recherches plus poussées sur l’inférence ainsi que d’autres investigations plus générales sur des questions de logique furent entreprises au sein du Ny ya et de l’école bouddhiste de logique, et seulement là. L’évolution se fit de telle façon que la théorie de l’argumentation et la théorie de la connaissance furent unies par des liens étroits et multiples. Les études sur le raisonnement logique que le S face="EU Updot" 拉khya avait jadis menées de manière indépendante ne furent pas, à notre connaissance, poursuivies.4. Logique, grammaire et perceptionIl n’en alla pas de même pour les débats autour de questions de logique auxquels se livra l’école des grammairiens fondée vers 400 avant notre ère par la grammaire sanscrite de P ユini et parfois traitée exactement comme un système philosophique: la p ユin 稜ya dar ごana. Depuis K ty yana, dont le livre sur P ユini intitulé V rttika , vers 250 avant J.-C. était le sujet du Mah bh ルya de Patañjali, les grammairiens ont traité les problèmes de l’inférence dans le contexte des problèmes de la représentation linguistique, et surtout de ceux qui concernent les caractéristiques grammaticales, évidemment. Leur œuvre s’élabora en conjonction étroite avec les idées d’un autre dar ごana orthodoxe qui se développait graduellement à l’époque, la M 稜m face="EU Updot" 拉s , qui s’est surtout préoccupé de l’interprétation méticuleuse des préceptes védiques (vidhi). L’analyse sémantique était alors florissante, en même temps que le souci de distinguer soigneusement entre langage-objet et métalangage aboutissait à des règles d’interprétation (paribh ル ) explicites, d’ordre métalinguistique, qui gouvernaient la composition des mots et des phrases à la fois sous l’angle syntaxique et sémantique. Les innovations techniques prolifèrent. Par exemple, il y a une particule spéciale, «iti», qui ajoutée à la fin d’un passage le transforme en citation. Le traitement syntaxique et sémantique de la négation aboutit à des formulations explicites de la règle de contraposition, et même l’importance que revêt la position relative du signe de la négation par rapport aux opérateurs modaux est clairement vue. Voici un exemple tiré du Mah bh ルya et qui concerne les m 稜m face="EU Updot" 拉sakas: «il est obligatoire de manger exclusivement la chair de cinq animaux à cinq griffes» implique «il est interdit de manger tout autre animal», ce qui revient à ! (E(x )F(x )) 若 漣| 暴 (E(x ) 廬 漣| F(x )).Le Mah bh ルya développe une comparaison entre l’inférence et la perception en tant qu’outils de connaissance. On s’aperçoit là que, si l’implication est traitée sous le titre de connexion (sa ュbhanda), c’est parce que le cadre de référence est sémiotique. En effet, pour qu’une inférence de l’énoncé A à l’énoncé B soit valide, il faut qu’il existe, entre ce que désignent les termes associés A et B, une connexion telle que A soit un signe (li face="EU Updot" 臘ga) de B. Certes plusieurs siècles s’écoulèrent avant que la critique de la logique ny ya par les logiciens bouddhistes n’aboutisse à clarifier le concept d’implication, pour lequel on emploie le terme de «vy pti» (littéralement: imprégnation); mais nous voyons déjà ici les termes «anvaya» et «vyatireka» employés respectivement pour A 若 B et sa contraposition 祿 若 comme on les rencontrera plus tard en logique bouddhiste, mais non pas dans les textes des naiy yikas.Ces exemples montrent que les grammairiens divisent les inférences en deux classes: les inférences pratyak ルato d リルレam (vues sous le rapport de la perception) et les inférences s m nyato d リルレam. On les retrouve évidemment dans la logique bouddhiste sous la forme de deux types d’inférences en modus ponens : l’un fondé sur des implications causales et l’autre sur des implications conceptuelles. Cette division semble aussi avoir guidé l’école s face="EU Updot" 拉khya lorsqu’elle en définit deux genres, le vi ごe ルato d リルレam et le s m nyato d リルレam. Dharmak 稜rti, vers 600-660, le grand disciple de Dign ga, utilise les termes de «k ry num na» (inférence fondée sur l’effet) et «sv bh v num na» (inférence fondée sur l’essence) pour désigner ces deux types. (L’exemple d’une inférence en s m nyato d リルレam, ainsi que son application à un cas particulier en vi ごe ルato d リルレam, donnés ci-dessus, peuvent maintenant être combinés et reformulés en un k ry num na, ce qui produit presque la formule standard d’un syllogisme indien telle qu’on la trouve dans les Ny yas tras: «ici [à l’emplacement du canard] sont des plumes», donc «ici est un oiseau», parce que avoir-des-plumes implique être-un-oiseau, c’est-à-dire que seuls les oiseaux en tant que causes donnent naissance à des plumes en tant qu’effets, si bien que les plumes deviennent signes de la présence d’un oiseau; les endroits où il y a des oies constituent des exemples permettant d’étayer la généralité de cette implication; au lieu de «plume» et «oiseau», Patañjali utilise par exemple «feuille» et «arbre», ou un trait grammatical et son sens.)5. Le mot et la choseOn comprendra que les doctrines des grammairiens et des m 稜m face="EU Updot" 拉sakas se caractérisent par une interrelation systématique entre la logique et la philosophie du langage, tandis que les doctrines des naiy yikas et celles des logiciens bouddhistes s’accordent à insister sur les liens entre la logique et l’épistémologie. On n’aura donc pas lieu d’être surpris en constatant qu’une grave querelle entre la M 稜m face="EU Updot" 拉s et le Ny ya a fait rage pendant presque toute la durée du premier millénaire de l’ère chrétienne, et porte sur la nature des relations entre le mot (face="EU Acute" ごabda) et l’objet (artha). D’un côté, les m 稜m face="EU Updot" 拉sakas, qui ont voulu se servir de la philosophie du langage pour édifier une épistémologie, plaident pour une théorie phýsei («par nature»): comme le ごabda – et on pourrait dire ici «le verbe», parce qu’ils désignent par ごabda, au premier chef, les Vedas transmis par voie orale – est éternel (nitya), les mots renvoient par nature aux objets correspondants, c’est-à-dire par une sorte d’énergie inhérente (face="EU Acute" ごakti). Il s’ensuit que toute connaissance représentée sous forme verbale est présumée vraie; si l’on prétend que non, il faut dire pourquoi. Comme ils se préoccupent avant tout des préceptes védiques, leur théorie comporte un autre trait intéressant, une sorte de principe de réduction qui rappelle la maxime pragmatique avancée par C. S. Peirce: le sens de chaque mot et de chaque phrase doit être en rapport avec des actions; par exemple «ceci est une corde» se ramène sémantiquement à «avec cette corde il est possible d’attacher une vache». À l’opposé, les naiy yikas, qui se sont efforcés de donner une justification épistémologique à des doctrines appartenant à la philosophie du langage, plaident pour une théorie thései («par convention»): puisque le ごabda, représentation verbale d’une connaissance à laquelle on accède par la perception et par inférence à partir de la perception, c’est-à-dire par un canal essentiellement indépendant du langage, peut se manifester comme le résultat (k rya) d’actes linguistiques décidés par des motivations diverses, les mots renvoient à leurs objets par convention. Il s’ensuit que toute connaissance représentée sous forme verbale n’est qu’une simple assertion dont il reste à déterminer si elle est vraie ou fausse. Ces deux thèses, abstraction faite du soutien que leur apportent diverses constructions conceptuelles plus élaborées, relèvent d’un réalisme épistémologique. Elles diffèrent en ceci que les m 稜m face="EU Updot" 拉sakas traitent les objets comme des universaux (face="EU Upmacr" k リti, c’est-à-dire forme, désigne ce à quoi un terme renvoie), tandis que les naiy yikas les traitent comme des individus (ce à quoi un terme renvoie contient en général une part d’universalité, le s m nya, et une part d’individualité, la vyakti). Car les premiers considèrent le langage comme un ensemble de types – les termes étant des schèmes –, les seconds comme un ensemble d’entités singulières – les termes étant des actualisations. De même, on ne s’étonnera pas que la M 稜m face="EU Updot" 拉s se soucie d’abord d’établir des normes qui puissent rendre invariable l’emploi du langage, alors que le Ny ya se préoccupe d’abord de la variabilité qui est en fait celle de ses emplois. En réalité, tout moyen de connaissance (pram ユa) est valide a priori selon la M 稜m face="EU Updot" 拉s puisqu’il s’appuie sur la validité inconditionnelle de la révélation védique (face="EU Acute" ごruti, la chose entendue), et que cette validité rend effective l’obligation de s’efforcer à préserver le strict mot-à-mot des formules védiques; mais il est valide a posteriori, selon le Ny ya, parce qu’il n’y a de validité inconditionnelle que de la tradition védique (sm リti, la chose remémorée), dont l’existence même prouve que certaines expériences sont susceptibles d’être vécues de façon répétée.6. Le syllogisme en cinq partiesMais, dans un cas comme dans l’autre, il est essentiel qu’on puisse par inférence passer de ce qui est perçu à ce qui n’est ou ne peut pas être perçu. Ce passage est assuré par une théorie de l’inférence qui a reçu dans le Ny ya sa forme classique, celle d’un syllogisme en cinq parties (pañc vayava v kya, littéralement: phrase à cinq parties), qui sert aussi de point de référence aux autres dar ごana lorsqu’ils pratiquent le raisonnement logique ou l’étudient. À la suite des critiques formulées par les logiciens bouddhistes Dign ga et Dharmak 稜rti, la forme en cinq parties a vu son application réduite aux cas appelés 礪inférences faites pour autrui 麗 (par rth num na); dans le cas des 礪inférences pour soi-même 麗 (sv rth num na), seuls les trois premiers ou les trois derniers membres sont nécessaires et, en outre, doivent être traités seulement comme des complexes pensés composés de termes et qui n’ont pas besoin d’être articulés en énoncés comme c’était le cas de la forme en cinq parties. Le paradigme est le suivant:La montagne est l’objet de connaissance perçue (pak ルa, littéralement «aile»; à l’origine, lieu où une thèse est avancée au cours d’une controverse; puis pak ルa et pratipak ルa ont pris le sens de «thèse et antithèse»; ici il s’agit simplement de l’endroit où se produit l’inférence); la fumée est le signe perçu (li face="EU Updot" 臘ga) utilisé comme raison (c’est pourquoi le mot est à l’ablatif), et le feu est la conséquence non perçue (s dhya: à l’origine l’ensemble de la proposition à prouver; s’était employé comme pak ルa à désigner la thèse). Bien entendu, la validité du raisonnement dépend de la relation d’implication qui unit raison et conséquence, relation qui à l’origine n’avait été perçue que sur le mode paradigmatique, à travers exemple et contre-exemple. Après que les œuvres critiques de Dign ga et de Dharmak 稜rti eurent rendu plus clair le caractère général de l’implication, qui dans l’exemple «partout où [il y a] fumée, là [il y a] du feu» a été traditionnement exprimé, depuis Kum rila le maître de la M 稜m face="EU Updot" 拉s (environ 620-680), par les mots «vy pti de la fumée et du feu» (littéralement: la fumée imprégnée par le feu, interpénétration de la fumée et du feu), cette notion de vy pti (dans les textes jaïnistes, et parfois en d’autres, avin bh va, concomitance universelle) ne tarda pas à devenir le thème central de la logique indienne. Udayana le maître du Ny ya (environ 975-1050) réalisa la fusion de l’école ny ya, qui en était venue à se préoccuper presque uniquement de logique et d’épistémologie, avec l’école vai ごe ルika qui, de son côté, avait fini par s’attacher surtout à l’ontologie et à la philosophie naturelle; il fonda ainsi le Navya-Ny ya (Nouveau Ny ya, également appelé «Ny ya-Vai ごe ルika») et jeta les bases du développement considérable de la théorie de la vy pti, qui culmina avec la Tattvacint ma ユi de Ga face="EU Updot" 臘ge ごa (vers 1300).7. Théorie de l’argumentation: essais de formalisationAu moyen d’une liste de neuf rubriques, intitulée «hetucakra» (roue de raisons), qui figure dans son Hetucakra ボamaru , Dign ga a pu donner un relevé complet des arguments valides; cette validité repose sur les relations qui peuvent exister entre le signe h , les exemples s qui sont les lieux où se manifeste le s dhya (lieux tels que le pak ルa), et les contre-exemples v , qui sont les lieux où se manifeste le complément du s dhya. Dign ga s’appuie sur son étude critique de la V davidhi (règles de controverse) de Vasubhandu le Jeune (vers 400-480), où, pour la première fois dans l’histoire de la logique bouddhiste, le syllogisme en cinq propositions se trouvait réduit aux trois premières, appelées «preuve» (s dhana). Évidemment, l’ouvrage étudiait aussi comment entreprendre des réfutations (d ルa ユa): il fallait pour cela trouver des erreurs dans une preuve, et à cette fin le v da-vidy exposait une technique perfectionnée fondée sur l’emploi de contre-factuelles (tarka): s’il y avait A il y aurait B, or B n’est pas, donc A non plus. Dign ga s’appuie tout spécialement sur les recherches de Vasubhandu le Jeune à propos de la règle des 礪trois traits caractéristiques 麗 [que doit posséder un argument] (trair pya). Chez celui-ci, la règle se trouvait déjà formulée, mais d’une façon qui n’était pas encore claire, et un des contemporains de Dign ga, Pra ごastap da, le maître du Vai ごe ルika, en propose encore au début du VIe siècle un traitement qui n’est pas satisfaisant.La 礪roue de raisons 麗 constitue la première formalisation réussie qu’un logicien indien ait donnée de l’inférence logique; elle est comparable à la syllogistique d’Aristote, encore que son organisation la rapproche beaucoup plus de celle des stoïciens. Elle énonce qu’une argumentation est valide si, et seulement si, les trois principes suivants sont respectés: (1) le signe figure dans l’objet (pak ルadharmatva, littéralement: le fait que l’objet porte la propriété), (2) le signe ne figure que là où la conséquence se produit, c’est-à-dire en des lieux semblables à l’objet (sapak ルa sattva), et (3) le signe est absent là où la conséquence est absente, c’est-à-dire dans les lieux qui ne sont pas semblables à l’objet (vipak ルa sattva). Comme le sapak face="EU Updot" 浪a sattva se réfère aux lieux du s dhya (s = s dharmya d リルレ nta, exemple semblable; les logiciens bouddhistes emploient «d リルレ nta» au lieu de «ud hara ユa»), tandis que le vipak ルa sattva se réfère aux lieux du complément du s dhya (v = vaidharmya-d リルレ nta, exemple contradictoire), la règle (1) énonce 晴p 﨎 h (à [l’emplacement de] cette montagne il y a de la fumée), la règle (2) énonce l’implication générale h 若 s (anvaya: partout où [il y a] fumée, là [il y a] du feu), et la règle (3) la contraposition de (2): 丹 若 凌 (vyatireka: partout où [il y a] non-feu, là [il y a] non-fumée). C’est le logicien bouddhiste Dharmottara (vers 750-810) qui, le premier, fit observer que (2) et (3) sont logiquement équivalents et expriment la vy pti de la fumée et du feu, mais ne tint pas compte des prescriptions de Dign ga selon lesquelles il serait indispensable que les trois règles soient respectées toutes ensemble. Dign ga avance qu’il ne suffit pas de respecter les seules règles (1) et (3) ensemble, et par là il indique clairement qu’il ne considère pas comme généralement valide la loi de la double négation «non-non-A implique A». Il s’aligne ainsi exactement sur la place fondamentale qu’occupent les concepts négatifs dans l’ensemble du bouddhisme, ainsi que sur le nominalisme dont il fait preuve lui-même lorsque, pour édifier une théorie de la signification des termes généraux, il se fonde sur 礪l’expulsion 麗 (apoha) [du complément] (par exemple, on définira «la vache» par: «à la fois non-homme, non-chien, non-lion, etc.»), ce qui permet de s’assurer qu’on n’aboutit aux traits d’universel que par inférence et qu’on ne peut les percevoir comme on le fait des entités singulières qui à elles seules sont la réalité.Sans plus se préoccuper des questions que soulève l’inclusion expresse de l’apoha-v da dans un exposé sur la 礪roue de raisons 麗, il est exact d’énoncer que l’argumentation aboutissant à 晴p 﨎 s (à [l’emplacement de] cette montagne il y a du feu) est valide si, et seulement si, 晴p 﨎 h et h 若 s sont concurremment vérifiées. La présentation de la 礪roue de raisons 麗 utilise les relations conceptuelles que la syllogistique a rendues célèbres: a (tous les P sont Q), i (certains P sont Q; en logique indienne: à condition que P a Q soit exclue) et e (aucun P n’est Q). Ces relations fonctionnent entre s , v (= 丹 ) et h .Et, parmi ces neuf combinaisons, deux exactement (entourées ici par un cercle) équivalent logiquement à h a s (= h 若 s ) comme l’a montré Dign ga, et donc valident l’inférence qui tire 晴p 﨎 s de 晴p 﨎 h . Il est évident aussi qu’on aurait tort de vouloir considérer la 礪roue de raisons 麗 comme une preuve du monde syllogistique barbara , où pak ルa serait la mineure, s dhya la majeure, et hetu le moyen terme (p a h 廬 h a s 若 p a s ), car le syllogisme indien ne contient aucune proposition du type «à toutes les montagnes il y a de la fumée».8. Logique et connaissanceOr toute inférence qui tire 晴p 﨎 s de 晴p 﨎 h est elle-même traitée comme analogue au passage d’un mot (perçu) à un objet (non perçu) que ce mot désigne. Donc la connaissance d’une fumée (H = qu’à l’emplacement de cette montagne il y a de la fumée) sera appelée «cause efficiente» (k ra ユa) de la connaissance d’un feu (S = qu’à l’emplacement de cette montagne il y a du feu). Dans le Navya-Ny ya, la relation correspondante qui unit deux connaissances du type H et S reçoit le nom de «vy pti-jñ na» (connaissance de l’implication), c’est-à-dire par rapport à l’exemple: «v hni-vyapyo dh ma ム» (fumée imprégnée de feu); on considère que toute connaissance particulière est reliée au sujet connaissant (face="EU Upmacr" tman) par l’inhérence (samav ya), terme qui désigne à la fois la relation entre substance (dravya) et qualité (gu ユa), et la relation entre un tout (avayavin) et ses parties (avayava). Le processus qui produit un effet à partir d’une cause est appelé «opération» (vy p ra). Dans le cas particulier de la connaissance opératoire de l’implication, cette opération est désignée par le terme «par mar ごa» (conception), c’est-à-dire par rapport à l’exemple: vy pti-vi ごi ルレa-pak ルa-dharmat -jñ na (connaissance de la présence de ce qui est qualifié par la vy pti [c’est-à-dire de la fumée] à l’emplacement de l’objet [c’est-à-dire à la montagne]). La cause H , jointe au par mar ごa, produit l’effet S . On peut considérer cela comme l’application de la règle d’instanciation universelle à 廬 x (x 﨎 hx 﨎 s ); cette application aboutit à 晴p 﨎 h晴p 﨎 s , et à partir de là, étant donné que H et S sont respectivement les nominalisations des propositions élémentaires 晴p 﨎 h et 晴p 﨎 s , on n’a plus qu’à appliquer la règle du modus ponens pour obtenir S à partir de H .Dans le Ny ya ancien, H était considérée comme étant à elle seule la cause de S . Donc, une fois qu’on eut amendé le troisième membre du syllogisme à cinq membres en énonçant explicitement la vy pti «partout où [il y a] fumée, là [est] du feu», on interpréta le second membre comme une abréviation de «à cause de la fumée qui est imprégnée de feu». Cela demeura l’interprétation courante de la tradition classique jusqu’à nos jours: le manuel de Tarka ルamgraha rédigé par Anna ュbha a (première moitié du XVIIe siècle) est encore utilisé dans les écoles de sanscrit comme une sorte de 礪propédeutique logique 麗.Après Ga face="EU Updot" 臘ge ごa, le Navya-Ny ya poursuivit (à Mithil , au Bih r) des études de plus en plus subtiles sur la vy pti, qui ont abouti à l’élaboration d’un sanscrit extrêmement spécialisé et technique. Grâce à cette langue, le logicien Raghun tha (vers 1475-1550), doué d’assez de puissance intellectuelle pour fonder (à Navadv 稜pa au Bengale) une école à lui, put construire par exemple une logique relationnelle d’un ordre plus élevé possédant en outre la capacité de traiter les questions de composition logique dans le plus grand détail, y compris les quantificateurs. Par exemple, l’assertion de l’adjonction «le lieu où il y a du feu est un lieu où il y a de l’eau ou le lieu où il y a du feu est un lieu où il y a une montagne» est exprimée par l’assertion d’une propriété particulière du feu, c’est-à-dire: il y a du feu [là où il y a] de l’eau ou à [l’emplacement] d’une montagne. Beaucoup de détails attendent encore d’être reconstruits selon les techniques de la logique formelle moderne.9. Le problème des universauxIl s’avère donc que l’influence décisive qui s’exerça sur le développement du Ny ya fut celle de Dign ga, non seulement dans le domaine de la logique proprement dite à propos du concept d’implication, mais aussi dans le domaine de l’épistémologie. Car, après lui, le Ny ya fut obligé de défendre son réalisme contre le nominalisme radical de Dign ga et de son école. Dans le développement de la M 稜m face="EU Updot" 拉s , un contemporain de Dign ga un peu plus âgé, le grammairien Bhart リhari (vers 450-510), revêt une importance similaire. Il fut en outre le fondateur d’une branche particulière du dar ごana orthodoxe AdvaitaVed nta, appelée えabd dvaita (non-dualité quant au verbe, ce qui signifie que le langage seul est réel, est le ごabdabrahman). De la doctrine de la M 稜m face="EU Updot" 拉s que les termes primitifs renvoient à des universaux, il tire une conclusion radicale qui pousse une des branches des m 稜m face="EU Updot" 拉sakas (les pr bh karas) à se rapprocher du bouddhisme, et l’autre (les bh as, disciples de Kum rila) à se rapprocher du Ny ya: tout terme articule des universaux à la fois verticalement et horizontalement, quel que soit son niveau de composition. Énoncer une proposition n’est pas représenter un individu en tant qu’il comporte tel et tel attribut, mais est un moyen, et même le seul moyen, de rendre accessible quelque chose d’universel. La réalité est de nature linguistique et peut être connue grâce à un moyen de connaissance spécial, défini par Bhart リhari le premier, et nommé par lui «pratibh » (intuition): c’est l’intuition qui reconnaît, de manière immédiate et soudaine, le caractère schématique ou générique des termes à divers niveaux, par exemple au niveau phonétique et au niveau sémantique (pour désigner ce caractère, la tradition des grammairiens offrait le terme de «spho レa», éclatement), et seule cette reconnaissance mérite d’être appelée connaissance de ce qui est. La parole concrète ou la perception, considérées comme des actualisations d’action, sont des entités singulières à partir desquelles, par le canal encore une fois de l’inférence, ne peuvent être atteintes que d’autres entités singulières. Aucun des deux pram ユa traditionnels n’est apte à rendre accessible l’universel, il faut pour cela le pratibh .Dign ga et Bhart リhari s’accordent dans la mesure où le langage (n ma) et la construction conceptuelle (kalpan ) constituent l’avers et le revers d’une seule et même pièce de monnaie. Le désaccord intervient lorsque l’un (Bhart リhari) appelle cette monnaie «brahman» et l’autre (Dign ga) l’appelle « ご nyat » (le vide), parce que, pour Bhart リhari, seuls les universaux sont réels, pour Dign ga, seuls les singuliers sont réels, et vice versa en ce qui concerne le caractère fictif. Heureusement, cette opposition n’affecte pas de manière essentielle la logique lorsqu’elle traite des singuliers et des universaux, ni donc non plus des individus.
Encyclopédie Universelle. 2012.